lundi 3 avril 2023

 

LAURENCE KLEINBERGER « UNE LARME DE RIWKA »

Illustration de couv :  Joblin - éditions du Basson

« Avant de refermer la porte, j’ai jeté un dernier regard dans l’appartement comme pour lui dire adieu.  Comme si c’était moi qui partais pour toujours. Ou bien peut-être que je m’apprêtais à fermer la porte sur mon enfance puisque pour moi, l’âge adulte commençait à cet instant. » peut-on lire au début du nouveau livre de Laurence Kleinberger. C’est simple. C’est poignant et ça résonne. Je suis très heureux d’avoir signé le visuel de couverture pour Laurence qui m’a dit : « Fais-moi quelque chose dans le style ligne claire. J’aime la ligne claire ». C’est ainsi que je j’ai planché sur deux propositions : l’une qui reprenait la photo de ses grands-parents évoquée dans le texte, et l’autre représentant la Kleinberge avec une bulle de… gamberge ! … C’est cette dernière qui a finalement été retenue. La ligne claire, ce style de BD cher à Hergé pourrait tout à fait qualifier le style de Laurence. « Une larme de Riwka » c’est direct et ça va droit au cœur de toutes celles et ceux qui ont une maman. On y trouve une multitude de sensations, de sentiments fugaces épinglés avec justesse, sincérité et simplicité. L’acuité de Proust sans les tirlipotages à rallonges. Vers la fin du livre on peut lire : « On s’habitue tellement bien à son état d’enfant… que je me demande comment font les autres pour se sentir adultes, puis vieux… » Moi aussi, je me suis souvent posé cette question à moins que « les autres » soient de bien meilleurs comédiens que nous et qu’ils jouent à avoir des préoccupations d’adultes comme faire vroum-vroum avec des 4X4 prévus pour la chasse au buffle,  lire et comprendre les meilleurs rapports financiers, beugler avec des hordes de supporters, devenir influenceuse, faire son lit au carré, torturer ses contemporains, saluer des bouts de tissus que l’on appelle drapeaux… bref, des préoccupations bien raisonnables… vraiment des trucs d’adultes. C’est tout de même autre chose que de faire « des p’tits dessins dans les coins *» ou d’écrire un livre sur sa maman…. Le sujet du livre c’est l’accompagnement de fin de vie de la mère de la narratrice. C’est décalé, c’est surprenant et c’est même exotique pour qui n’a jamais visité d’EHPAD. Le quotidien des résidents -dont la fenêtre principale est la télé d’où s’écoule un flot ininterrompu de vulgarités débiles - et les conditions de travail des soignants y sont évoqués avec cette non pesanteur (je n’ose écrire légèreté) qui caractérise le style de Laurence.

Et puis, il y a ce passé familial, la déportation, l’anéantissement de ceux qui ont donné la vie à celle qui vous a donné la vie… Avant la lecture de ce livre, je n’avais jamais vraiment perçu la béance que peut laisser dans l’âme le souvenir de grands-parents que l’on n’a pas connus, pourchassés, assassinés par l’hallucinante connerie humaine. « Serais-je agrippée à mes racines si une partie de moi n’avait été assassinée ? » Et puis, il y a cette inquiétude, ou plutôt cette non-quiétude, insistante, persistante… Et des cauchemars à côté desquels « le Cri » d’ Edvard Munch ressemble à un  aimable coloriage pour bambino.

Chaque court chapitre est introduit par un extrait de chanson, de poème, une réplique de film. Ainsi retrouve-t-on le « J’ai la mémoire qui flanche » de Serge Rezvani (ça s’impose dans une œuvre où il est question d’Alzheimer) et « L’enfermée » de mon cher Gaston Couté en passant par la Mano Negra. Bref, si vous voulez vous trouver en l’excellente compagnie de Laurence Kleinberger, ouvrez ce livre. C’est tout de suite fraternel … « Frères humains… » semble  dire l’autrice, ces pages sont pour vous… pour nous… »



Dans son précédent ouvrage « Lulu dans le taxi » j’avais beaucoup apprécié le côté déconneur et surréaliste à la Bertrand Blier de Laurence. Avec ce nouvel opus, elle nous fait glisser -tout comme le gars Bertrand avec son « Bruit des glaçons » - sur le Grand Huit des émotions : On monte vers des sommets de rigolade avant de plonger dans des abysses d’angoisse. Angoisse d’autant plus angoissante qu’elle est d’une banalité quotidienne… inévitable.

Un très bon livre dont on continue d’entendre la musique longtemps après l’avoir refermé.

*  « César et Rosalie »

 




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mon autre proposition de visuel pour la couverture


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