LAURENCE KLEINBERGER « UNE LARME DE RIWKA »
Illustration de couv :
Joblin - éditions du Basson
« Avant de refermer la porte, j’ai jeté un dernier
regard dans l’appartement comme pour lui dire adieu. Comme si c’était moi qui partais pour toujours.
Ou bien peut-être que je m’apprêtais à fermer la porte sur mon enfance puisque
pour moi, l’âge adulte commençait à cet instant. » peut-on lire au
début du nouveau livre de Laurence Kleinberger. C’est simple. C’est poignant et
ça résonne. Je suis très heureux d’avoir signé le visuel de couverture pour
Laurence qui m’a dit : « Fais-moi quelque chose dans le style
ligne claire. J’aime la ligne claire ». C’est ainsi que je j’ai planché
sur deux propositions : l’une qui reprenait la photo de ses grands-parents
évoquée dans le texte, et l’autre représentant la Kleinberge avec une bulle de…
gamberge ! … C’est cette dernière qui a finalement été retenue. La ligne
claire, ce style de BD cher à Hergé pourrait tout à fait qualifier le style de
Laurence. « Une larme de Riwka » c’est direct et ça va droit au cœur
de toutes celles et ceux qui ont une maman. On y trouve une multitude de
sensations, de sentiments fugaces épinglés avec justesse, sincérité et
simplicité. L’acuité de Proust sans les tirlipotages à rallonges. Vers la fin
du livre on peut lire : « On s’habitue tellement bien à son état
d’enfant… que je me demande comment font les autres pour se sentir adultes,
puis vieux… » Moi aussi, je me suis souvent posé cette question à moins
que « les autres » soient de bien meilleurs comédiens que nous et
qu’ils jouent à avoir des préoccupations d’adultes comme faire vroum-vroum avec
des 4X4 prévus pour la chasse au buffle, lire et comprendre les meilleurs rapports
financiers, beugler avec des hordes de supporters, devenir influenceuse, faire
son lit au carré, torturer ses contemporains, saluer des bouts de tissus que
l’on appelle drapeaux… bref, des préoccupations bien raisonnables… vraiment des
trucs d’adultes. C’est tout de même autre chose que de faire « des p’tits
dessins dans les coins *» ou d’écrire un livre sur sa maman…. Le sujet du
livre c’est l’accompagnement de fin de vie de la mère de la narratrice. C’est
décalé, c’est surprenant et c’est même exotique pour qui n’a jamais visité d’EHPAD.
Le quotidien des résidents -dont la fenêtre principale est la télé d’où
s’écoule un flot ininterrompu de vulgarités débiles - et les conditions de
travail des soignants y sont évoqués avec cette non pesanteur (je n’ose écrire
légèreté) qui caractérise le style de Laurence.
Et puis, il y a ce passé familial, la déportation,
l’anéantissement de ceux qui ont donné la vie à celle qui vous a donné la vie…
Avant la lecture de ce livre, je n’avais jamais vraiment perçu la béance que
peut laisser dans l’âme le souvenir de grands-parents que l’on n’a pas connus,
pourchassés, assassinés par l’hallucinante connerie humaine. « Serais-je
agrippée à mes racines si une partie de moi n’avait été
assassinée ? » Et puis, il y a cette inquiétude, ou plutôt cette
non-quiétude, insistante, persistante… Et des cauchemars à côté desquels
« le Cri » d’ Edvard Munch ressemble à un aimable coloriage pour bambino.
Chaque court chapitre est introduit par un extrait de
chanson, de poème, une réplique de film. Ainsi retrouve-t-on le « J’ai la
mémoire qui flanche » de Serge Rezvani (ça s’impose dans une œuvre où il
est question d’Alzheimer) et « L’enfermée » de mon cher Gaston Couté
en passant par la Mano Negra. Bref, si vous voulez vous trouver en l’excellente
compagnie de Laurence Kleinberger, ouvrez ce livre. C’est tout de suite
fraternel … « Frères humains… » semble dire l’autrice, ces pages sont pour vous…
pour nous… »
Dans son précédent ouvrage « Lulu dans le taxi » j’avais
beaucoup apprécié le côté déconneur et surréaliste à la Bertrand Blier de
Laurence. Avec ce nouvel opus, elle nous fait glisser -tout comme le gars
Bertrand avec son « Bruit des glaçons » - sur le Grand Huit des
émotions : On monte vers des sommets de rigolade avant de plonger dans des
abysses d’angoisse. Angoisse d’autant plus angoissante qu’elle est d’une
banalité quotidienne… inévitable.
Un très bon livre dont on continue d’entendre la musique
longtemps après l’avoir refermé.
* « César et Rosalie »
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mon autre proposition de visuel pour la couverture |
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